mercredi 16 avril 2014

Transport: bac de Farafégné : le cadeau empoisonné des voyageurs sénégalais.


Un des ferries servant de liaison des deux rives du fleuve Gambie.
Par Lamine Famara DIEDHIOU
Se rendre à Ziguinchor par la traversée du fleuve Gambie est un véritable parcours du combattant. Le bac de Farafégné, est une aubaine et un fardeau pour les voyageurs. Il permet non seulement d’éviter le grand tour par Tambacounda, mais constitue aussi le pire cauchemar des passagers. Sur place, le temps semble s’arrêter, les heures suspendues. Une attente épouvantable s’en suit, pour les candidats en destination de la Casamance. Les humeurs des gambiens forcent les usagers de cette route de prendre leur mal en patience une fois au bac.
Reportage.

Les vitres sombres du véhicule laissent passer les premiers rayons solaires de 7 heures. A l’intérieur, les rares passagers encore éveillés, s’étirent et se plaignent du long trajet qu’ils viennent d’effectuer. Le bus franchit la frontière gambienne. Devant un stop de police, est écrit : arrêt obligatoire. Des  charrettes surchargées et des véhicules se relaient au point de contrôle des pièces d’identités.

Enfin la voiture emprunte la dernière ligne droite pour le bac. Les crépitements des pneus se mêlent avec  le ronronnement du moteur. Soudain, on aperçoit à l’horizon deux bus devant une barrière en fer.  Le bac de Farafégné se dévoile. Terre gambienne. C’est le passage obligé pour rejoindre la région sud du Sénégal, par la route nationale 4.  « Enfin le ferry» s’exclament les occupants du bus de transport en commun « Air Thionk Essyl ». Un ouf de soulagement qui sonne comme une libération après une nuit de voyage mouvementé. Une nuit marquée par de nombreux arrêts, des pannes du moteur et  des tracasseries des gendarmes.

Frappé d’une banderole blanche, au devant d’où est écrite « caravane des 48 heures des étudiants de Niankitte 3ème édition », Air Thionk Essyl, à l’allure de véhicule neuf, a très vite déçu ses admirateurs. Ses innombrables pannes techniques sur la route ont eu raison de son imposante carcasse de ferraille grise.
Cependant, l’arrivée inespérée au bac de Farafégné après 12 heures de trajet périlleux, fait oublier la longue nuit de voyage. Le freinage brusque devant le dernier bus à la ligne d’embarcation s’accompagne d’un tonnerre d’applaudissement du chauffeur, pour s’être bien positionné pour la traversée. Les visages se décrispent au même moment dans le véhicule.

A l’extérieur, au côté droit, un cantonnement militaire gambien est déjà aux aguets. Les hommes en tunique verte et noire, arme à la main, contrôlent les voitures prêtent à embarquer sur le bac. Ils font régner ainsi l’ordre avec les agents du ferry, au milieu des premiers  voyageurs, agités.

De l’autre coté, en face des militaires, clients et vendeurs, marchandent par ci le prix d’un tissu wax, par là les paquets de thé et de sucre. L’odeur des poulets rôtis, des frittes et omelettes, rappelle aux affamés du matin le devoir de passer au petit déjeuner. Le tout dans une ambiance de cris des techniciens du ferry et des discussions de voyageurs.

La sirène du bac de 8 heures, vient interrompre l’atmosphère de ce petit marché du dimanche. Elle ramène les passagers à la réalité de « Balinghore ». Une réalité marquée par le début d’une attente interminable, avant la traversée. Cette attente insupportable, semble éternelle pour les voyageurs, pourtant pressés de retrouver leurs siens en Casamance.

L’angoisse de l’attente

Une heure plus tard, le pire se confirme. Il faudra attendre plusieurs heures. Pourquoi ? Une marrée basse est annoncée. Sur les deux ferries en service ce matin, un est mis au repos sur le coup. « Et pourtant c’est celui capable transporter les véhicules lourds, comme notre bus » déclare Sadibou Diédhiou, trentenaire à la mine abattue. « Quelle est la solution ? », se demande Mouhamed Badji, un novice dans ces lieux. « Attendre », rétorqua l’apprenti chauffeur, au volant du véhicule, délaissé par son patron juste après l’arrivée au bac. Sur ces mots, les visages illuminés, il y a quelques heures, redeviennent graves et crispés.

L’attente est longue. Les Gambiens dictent leur loi. Ils font la pluie et le beau temps, au détriment, de ces transitaires d’une journée. Ils prennent un malin plaisir de faire tournoyer les chauffeurs à forte personnalité. Et tant pis. Que ceux qui sont attachés à certaines valeurs de probité et de transparence, aillent se plaindre ailleurs. Car les plus offrants des automobilistes passent en premier. Ici, les lois de l’arithmétique sont bousculées. Si bien que le premier dans le rang peut être rétrogradé et être le dernier à effectuer la traversée, s’il ne fait pas parler le pouvoir de l’argent. Ceux qui respectent les règles n’ont qu’à attendre tranquillement leur tour.

Assis sur des rochers au bord du fleuve, les pieds dans l’eau, un groupe d’étudiants discutent tranquillement : « Ça ne finira jamais. C’est toujours les mêmes histoires ici, depuis des décennies. Rien que ce bout de fleuve, on va passer la journée ici… Pourquoi ils ne nous respectent pas ces gambiens… ? ». Abasse Sané, étudiant en banque finance, rétorque de loin en rejoignant le groupe : «Il faut que l’Etat du Sénégal enrôle sa responsabilité pour désenclaver notre région». En effet, les étudiants se rendent à Niankitte, leur village natal pour leurs 48 heures; une manifestation socioculturelle et éducative. Et, à 24 heures de cet événement, « les préparatifs vont bon train », fait savoir Moustapha Sané, étudiant en géographie et président des étudiants. Ce dernier, le téléphone collé à l’oreille, même en territoire gambien, reste toujours en communication avec le comité d’organisation au village. Les propos du président redonne du courage à certains membres du groupe, assis éparpillés dans le véhicule, se plaignant de l’insupportable chaleur qui y règne.

La délivrance

Les minutes s’écoulent. Les heures passent.15 heures à l’horloge. La situation météorologique revient à la normale. Une marrée haute. L’eau commence à déborder, obligeant les passagers, qui avaient trouvé refuge sur les rochers de remonter à la surface. Un, deux, trois coups de sirène, et le grand ferry reprend du service. Des épaisses couches de fumées noires s’y échappent, témoignant ainsi la vétusté de ses moteurs.

L’endroit devient plus animé. Malgré la chaleur intenable qui y règne, l’activité commerciale ne s’est pas arrêtée. Des sachets d’eau distillée et des canettes de boissons se vendent comme des petits pains.

Cependant, les vas et vient de ces vendeurs cachent mal la nouvelle réalité économique de ‘‘Baleinghor’’. Oumar Bah commerçant gambien s’explique : « Ici, une boutique sur deux est fermée à cause de la grève des transporteurs et chauffeurs sénégalais. Nos affaires ne marchent plus comme d’habitude et le manque à gagner est énorme ». Depuis près de 4 mois, un bras de fer existe entre transporteurs sénégalais et autorités gambiennes. La source : un désaccord sur la monnaie de paiement des droits de traversée du fleuve Gambie par le ferry de Baleinghor. Une situation qui a fini par faire que des malheureux.

Dans les eaux, le grand ferry a mis environ 30 minutes pour s’installer et entamer son chargement. Camions, taxi brousses, et particuliers embarquent en premier lieu, suivi du bus des étudiants. Au bout d’une demi-heure, il se retrouve à l’autre bout du fleuve. A peine l’encre jeté, les passagers de « Air Thionk Essyl », remercie le Bon Dieu, les mains droits au ciel comme s’ils exhibaient un trophée.

Le temps que le chauffeur principal reprend le volant, l’ambiance festive refait surface à l’intérieur du véhicule. Les chants folkloriques des passagers accompagnent, le ronronnement du moteur du bus, qui quitte à toute allure le bac à la direction de l’autre frontière sénégalo-gambienne : Sénoba en territoire sénégalais. Derrière, un nuage de poussière se dresse, enveloppant les prochains clients du ferry, sous le soleil accablant de 16 heures. 

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