Se rendre à Ziguinchor par la traversée du
fleuve Gambie est un véritable parcours du combattant. Le bac de Farafégné, est
une aubaine et un fardeau pour les voyageurs. Il permet non seulement d’éviter
le grand tour par Tambacounda, mais constitue aussi le pire cauchemar des
passagers. Sur place, le temps semble s’arrêter, les heures suspendues. Une
attente épouvantable s’en suit, pour les candidats en destination de la
Casamance. Les humeurs des gambiens forcent les usagers de cette route de
prendre leur mal en patience une fois au bac.
Reportage.
Les vitres sombres du véhicule laissent
passer les premiers rayons solaires de 7 heures. A l’intérieur, les rares
passagers encore éveillés, s’étirent et se plaignent du long trajet qu’ils
viennent d’effectuer. Le bus franchit la frontière gambienne. Devant un stop de
police, est écrit : arrêt obligatoire. Des charrettes surchargées et
des véhicules se relaient au point de contrôle des pièces d’identités.
Enfin la voiture emprunte la dernière
ligne droite pour le bac. Les crépitements des pneus se mêlent
avec le ronronnement du moteur. Soudain, on aperçoit à l’horizon deux bus
devant une barrière en fer. Le bac de Farafégné se dévoile. Terre gambienne. C’est le
passage obligé pour rejoindre la région sud du Sénégal, par la route nationale
4. « Enfin
le ferry» s’exclament les
occupants du bus de transport en commun « Air Thionk Essyl ». Un ouf
de soulagement qui sonne comme une libération après une nuit de voyage
mouvementé. Une nuit marquée par de nombreux arrêts, des pannes du moteur et
des tracasseries des gendarmes.
Frappé d’une banderole blanche, au devant
d’où est écrite « caravane
des 48 heures des étudiants de Niankitte 3ème édition », Air Thionk Essyl, à l’allure de
véhicule neuf, a très vite déçu ses admirateurs. Ses innombrables pannes
techniques sur la route ont eu raison de son imposante carcasse de ferraille
grise.
Cependant, l’arrivée inespérée au bac de
Farafégné après 12 heures de trajet périlleux, fait oublier la longue nuit de
voyage. Le freinage brusque devant le dernier bus à la ligne d’embarcation
s’accompagne d’un tonnerre d’applaudissement du chauffeur, pour s’être bien
positionné pour la traversée. Les visages se décrispent au même moment dans le
véhicule.
A l’extérieur, au côté droit, un
cantonnement militaire gambien est déjà aux aguets. Les hommes en tunique verte
et noire, arme à la main, contrôlent les voitures prêtent à embarquer sur le
bac. Ils font régner ainsi l’ordre avec les agents du ferry, au milieu des
premiers voyageurs, agités.
De l’autre coté, en face des militaires,
clients et vendeurs, marchandent par ci le prix d’un tissu wax, par là les
paquets de thé et de sucre. L’odeur des poulets rôtis, des frittes et
omelettes, rappelle aux affamés du matin le devoir de passer au petit déjeuner.
Le tout dans une ambiance de cris des techniciens du ferry et des discussions
de voyageurs.
La sirène du bac
de 8 heures, vient interrompre l’atmosphère de ce petit marché du dimanche.
Elle ramène les passagers à la réalité de « Balinghore ». Une réalité
marquée par le début d’une attente interminable, avant la traversée. Cette attente insupportable, semble
éternelle pour les voyageurs, pourtant pressés de retrouver leurs siens en
Casamance.
L’angoisse de l’attente
Une heure plus tard, le pire se confirme.
Il faudra attendre plusieurs heures. Pourquoi ? Une marrée basse est
annoncée. Sur les deux ferries en service ce matin, un est mis au repos sur le
coup. « Et pourtant c’est
celui capable transporter les véhicules lourds, comme notre bus » déclare Sadibou Diédhiou, trentenaire
à la mine abattue. « Quelle
est la solution ? », se
demande Mouhamed Badji, un novice dans ces lieux. « Attendre », rétorqua l’apprenti chauffeur, au
volant du véhicule, délaissé par son patron juste après l’arrivée au bac. Sur
ces mots, les visages illuminés, il y a quelques heures, redeviennent graves et
crispés.
L’attente est longue. Les
Gambiens dictent leur loi. Ils font la pluie et le beau temps, au détriment, de
ces transitaires d’une journée. Ils prennent un malin plaisir de faire
tournoyer les chauffeurs à forte personnalité. Et tant pis. Que ceux qui sont attachés
à certaines valeurs de probité et de transparence, aillent se plaindre
ailleurs. Car les plus offrants
des automobilistes passent en premier. Ici,
les lois de l’arithmétique sont bousculées. Si bien que le premier dans le rang
peut être rétrogradé et être le dernier à effectuer la traversée, s’il ne fait
pas parler le pouvoir de l’argent. Ceux
qui respectent les règles n’ont qu’à attendre tranquillement leur tour.
Assis sur des rochers au
bord du fleuve, les pieds dans l’eau, un groupe d’étudiants discutent
tranquillement : « Ça
ne finira jamais. C’est toujours les mêmes histoires ici, depuis des décennies.
Rien que ce bout de fleuve, on va passer la journée ici… Pourquoi ils ne nous
respectent pas ces gambiens… ? ». Abasse
Sané, étudiant en banque finance, rétorque de loin en rejoignant le
groupe : «Il faut
que l’Etat du Sénégal enrôle sa responsabilité pour désenclaver notre région».
En effet, les étudiants se rendent à Niankitte, leur village natal pour leurs
48 heures; une manifestation socioculturelle et éducative. Et, à 24 heures de
cet événement, « les
préparatifs vont bon train »,
fait savoir Moustapha Sané, étudiant en géographie et président des étudiants.
Ce dernier, le téléphone collé à l’oreille, même en territoire gambien, reste
toujours en communication avec le comité d’organisation au village. Les propos
du président redonne du courage à certains membres du groupe, assis éparpillés
dans le véhicule, se plaignant de l’insupportable chaleur qui y règne.
La délivrance
Les minutes s’écoulent.
Les heures passent.15 heures à l’horloge. La situation météorologique revient à
la normale. Une marrée haute. L’eau commence à déborder, obligeant les
passagers, qui avaient trouvé refuge sur les rochers de remonter à la surface.
Un, deux, trois coups de sirène, et le grand ferry reprend du service. Des épaisses couches de fumées noires s’y échappent, témoignant ainsi la vétusté
de ses moteurs.
L’endroit devient plus
animé. Malgré la chaleur intenable qui y règne, l’activité commerciale ne s’est
pas arrêtée. Des sachets d’eau distillée et des canettes de boissons se
vendent comme des petits pains.
Cependant, les vas et
vient de ces vendeurs cachent mal la nouvelle réalité économique de
‘‘Baleinghor’’. Oumar Bah commerçant gambien s’explique : « Ici, une boutique sur deux
est fermée à cause de la grève des transporteurs et chauffeurs sénégalais. Nos
affaires ne marchent plus comme d’habitude et le manque à gagner est
énorme ». Depuis près de
4 mois, un bras de fer existe entre transporteurs sénégalais et autorités
gambiennes. La source : un désaccord sur la monnaie de paiement des droits
de traversée du fleuve Gambie par le ferry de Baleinghor. Une situation qui a
fini par faire que des malheureux.
Dans les eaux, le grand
ferry a mis environ 30 minutes pour s’installer et
entamer son chargement. Camions, taxi brousses, et particuliers embarquent en
premier lieu, suivi du bus des étudiants. Au bout d’une demi-heure, il se
retrouve à l’autre bout du fleuve. A peine l’encre jeté, les passagers de
« Air Thionk Essyl », remercie le Bon Dieu, les mains droits au ciel
comme s’ils exhibaient un trophée.
Le temps que le chauffeur
principal reprend le volant, l’ambiance festive refait surface à l’intérieur du
véhicule. Les chants folkloriques des passagers accompagnent, le ronronnement
du moteur du bus, qui quitte à toute allure le bac à la direction de l’autre
frontière sénégalo-gambienne : Sénoba en territoire
sénégalais. Derrière, un nuage de poussière se dresse, enveloppant les
prochains clients du ferry, sous le soleil accablant de 16 heures.