Par Lamine Famara DIEDHIOU
Illustration d'un Dahira au Campus social |
Reportage
21h 30. L’université
est transformée en lieu de culte. De l’allée de la petite porte, au pavillon Q,
en passant par les pavillons A et B, résonnent des chants religieux. Devant le
pavillon des mariés se tient un groupe de jeunes hommes : le "Coureul" mouride. Les jeunes
talibés, par terre, font face à face en forme de cercle. Ils psalmodient les
poèmes du vénéré CHEIKH AHMADOU BAMBA, fondateur du "Mouridisme". Etonnant
de voir que la pénombre et le vent frais de ce soir, ne les ébranlent point. Sur
les bancs en béton de l’allée, quelques curieux par ci, un couple par là,
observent. Il y a quelques heures, l’endroit refusait du monde, avec les vas et
viens des étudiants.
Au milieu de ce groupe, un jeune à la
trentaine, crâne rasé, grand boubou bleu, crie sur toutes ses forces. « Bamba Merci ! Bamba Merci ! ».
Avec sa belle voix, Babacar de son nom, dirige le "Dahira" de ce
jeudi. Sa tâche : mener les chants. Au bout de 30 minutes de récital,
Babacar se mue en conférencier. Son thème : jeunesse, aujourd’hui. Il
fait un long monologue sur les dérives de la jeunesse d’à présent. « L’alcool, la violence, le sexe, affectent
notre espace universitaire. Il n’est pas étonnant qu’on découvre des cas
d’infanticide à présent, à l’Université. Et il y en aura, si on ne revient pas
aux enseignements de Sérigne Touba (…) », martèle-t-il. A ces mots,
ses condisciples semblent séduits par le discours. Ils reprennent de plus bel
les chants. Malick Dramé, la main collée à l’oreille gauche, enchaîne les
poèmes. Il prend ainsi, un malin plaisir à tonner sa voix, qui transcende
celles de ses camarades.
Sur la dernière ligne du groupe se trouve un
autre jeune, la vingtaine. Ses
« rastas » lui tombent aux épaules. Adossé sur un des rares
lampadaires qui peinent à éclairer cette allée, il filme tous les gestes et
mouvements de ses amis avec sa caméra.
22h 30. Le maestro Babacar marque une pause.
Il est suivi par le reste du groupe. Au même moment, arrive un jeune homme, aux
pas pressés. Il est en retard. D’un geste vif, Aliou, étudiant en première
année de lettres, se déchausse et s’installe aussitôt. Les manches de sa
chemise retroussées, il suit le rythme du récital en claquant ses petits
doigts.
A quelques cinq mètres des hommes, se trouve
le groupe des jeunes filles. Elles sont facilement identifiables, par leurs
voiles multicolores. Elles font face aux garçons. Les têtes baissées, elles chantent
en chœur. Mais à voix basse. Aïssatou Sidibé, de taille moyenne, a les mèches
qui sortent du voile. Elle est l’une des rares filles qui semblent ne pas
s’intéresser à ce que font les garçons. Elle se penche vers sa voisine, lui
murmure quelques mots à l’oreille. Toutes les deux s’éclatent de rire. « On aura tout vu dans cette
université », lance un observateur de la scène.
Tandis que le "Coureul" des mourides prenait sa pause, de l’autre bout du
campus, juste devant le pavillon B se tient un autre groupe religieux. Lui, a
beaucoup plus d’adhérents. Sur la façade du mur du pavillon, un grand poster du
marabout Sérigne Saliou Mbacké est apposé. Au sein de ce groupe, les hommes et
les femmes partagent le même espace. Chants, danses, "café Touba"
rythment la nuit. Ce second Dahira est
différent du premier par l’organisation et la façon de réciter. Il est beaucoup
plus divertissant. L’espace est mieux éclairé. La chaleur des fourneaux de café
Touba et des lampes néons réchauffent le public.
Tel un véritable artiste, Fallou, avec son
micro interprète un morceau dédiée au marabout Sérigne Saliou Mbacké. Les
camarades tapent sur des sortes de tam-tam. Filles et garçons exécutent des pas
de danse à plein régime. Le groupe offre ainsi un spectacle inédit. Les
passants sont intrigués. Dans quel pays on est, où la religion rime avec la
danse ?, lâche un passant en wolof. En effet, il est très curieux de
constater des "prétendus" religieux, effectuer des chorégraphies de
danse. Un constat qui écœure Monsieur Diallo, un vieux boutiquier du campus. « Je me demande s’ils ont réellement
compris les enseignements des "Sérignes". La danse dans la
religion ? Ça n’existe qu’au Sénégal », lance-t-il derrière ses
verres correcteurs. Cette jeunesse semble perdue.
Le paroxysme est atteint au moment où un
très jeune talibé tombe en syncope. Il, jette son livre par terre, et se met à
hurler de toutes ses forces. Deux de ses camarades interviennent. Ils finissent
par le maîtriser. Au bout de quelques minutes, il retrouve enfin ses esprits. « Gloire à Sérigne Touba »,
fit-il. « Ses paroles saintes m’ont
pénétrées », poursuit-il. Sur ces mots, tout le groupe se met à
embrasser la photo du marabout accroché au mur. C’est également le moment
choisit par les jeunes filles pour servir le "café Touba". A ces
images l’on s’interroge. Au Sénégal, y a-t-il une différence entre religion et
secte ? Et entre guide religieux et gourou ? La réponse n’est pas
aisée.
Les deux Dahiras précités ne sont pas les
seuls à connaitre une activité ce soir à l’Université. Car, en effet à la grande
mosquée, l’on peut entendre les récitals de coran des « Ibadous ».
Mais également des chants et « sabars » à la devanture du grand
pavillon A, fief des Tiantakounes. Toute une symphonie de chants religieux, qui
donne au campus social en une nuit, l’allure d’un « Magal Touba ».
En attendant que les autorités du Centre des
œuvres universitaires et sociales (COUD) trouvent une solution aux Dahiras du
campus, les « campusards » pour leur part, continueront de passer des
nuits blanches tous les jeudis.