mercredi 26 mars 2014

Société: Interview sur la mendicité avec OUTAZE IBRAHIMA SIDIBE, MAITRE CORANIQUE

La mendicité, un vrai problème de société.
Par Lamine Famara DIEDHIOU
Bien situé au cœur du quartier Hlm Fass, près de la grande mosquée, depuis 1987, l’école arabe El Haji Mansour Sy, se singularise par son mode d’enseignement coranique, d’après Oustaze Ibrahima Sidibé. Ce dernier, rencontré récemment, a  expliqué la méthode d’enseignement qu’il dispense. Mais, il s’est surtout prononcé sur la mendicité au Sénégal, ses causes et a  décliné des alternatives pour éradiquer ce fléau.
Interview


Cela fait 27 ans que vous vous êtes installé dans ce lieu en tant que Maitre coranique. Pouvez-vous nous faire le bilan de votre présence à l’école El Hadji Mansour Sy ?

  Effectivement, depuis l’année 1987, je suis responsable de l’enseignement coranique des jeunes, filles comme garçons. Ici, je leur enseigne les fondements de notre religion, qui est l’Islam. Car, un musulman doit impérativement se cultiver. Même s’il choisit de faire des études en français, il ne doit en aucun cas délaissé l’apprentissage du Saint Coran. Depuis que j’ai hérité ce « daaras », j’ai toujours usé de mon influence pour pousser les parents du quartier, d’inscrire massivement leurs enfants. J’ai reçu un enseignement coranique. On m’a inculqué un savoir, alors j’ai le devoir et l’obligation de faire partager ce savoir avec n’importe quel musulman, enfant comme adulte. Et je rends grâce à Dieu, parce que mes appels ont été entendus. Je peux vous dire que j’ai vu beaucoup de générations passées ici avec une maitrise parfaite du Coran. Mes élèves m’ont fait honneur à maintes reprises, en remportant le concours du récital des versets du Coran. Aujourd’hui je peux être fier des fruits de mes efforts. Car comme vous pouvez le constater vous-mêmes des filles de trois ans vous récitent des passages du Saint Coran tout comme les élèves qui  sont là, depuis longtemps. C’est vrai qu’il n’est pas toujours facile de gérer des petits enfants, et surtout sans moyens. Mais on essaie d’en faire avec.

Qu’est ce qui singularise votre mode d’enseignement, par rapport à celui des autres écoles arabes de la localité ?

  Le mode d’enseignement que j’ai instauré ici, est un peu comme le système de l’école française. Les élèves ont cours du lundi au dimanche, de 8 heures à 13 heures, le matin. Et le soir, c’est de 15 heures à 19 heures. Puis, après la prière de « timis », on enchaine jusqu’à 22 heures. Cependant le vendredi est un jour de repos à cause de la grande prière. L’emploi du temps est en fonction des niveaux d’instructions des différents élèves. Les enfants de la première année sont encadrées par les élèves les plus anciens. De ce fait chaque ancien est en quelque sorte le « maitre coranique » d’un nouveau venu. Ici, les enfants sont bien encadrés. D’ailleurs nous organisons des visites des parents toutes les deux semaines. C’est un prétexte pour permettre aux parents de juger le niveau d’apprentissage de leurs enfants. La mendicité sous toutes ses formes est interdite dans notre école. C’est une des raisons, qui font qu’il n’y a presque pas de temps libre pour nos apprenants. Ainsi, ils n’auront pas le temps de trainer dans la rue.


Justement, vous parlez de la mendicité. Comment est ce que vous appréhendez ce phénomène au Sénégal ?

   C’est un phénomène qui existe chez nous depuis très longtemps certes. Mais il a pris de l’ampleur actuellement. Et c’est vraiment dommage. Car, la plus part des gens qui s’adonnent à ces pratiques, méconnaissent l’Islam. Notre Prophète (PSL) nous a enseigné que seuls les nécessiteux   sont habilités à demander de l’aumône. Mais aujourd’hui, nous constatons que, pratiquement sur toutes les rues de la capitale ou devant  les portes de mosquées, les « talibés » sont stationnés tendant la main. Et la majorité des sénégalais ne font pas le distinguo entre ces mômes dans la rue et les petits qui sont dans  des écoles arabes comme la mienne. Ils nous assimilent de marabouts sans foi, parce qu’il y a de ces maitres coraniques qui incitent leurs élèves à la mendicité. Mais comme je vous l’ai indiqué, dans mon école, il est formellement interdit de mendier. L’élève qui s’aventurerait sur ce chemin sera sévèrement puni. D’ailleurs je ne comprends pas comment un enfant peut il acquérir une connaissance, s’il est constamment dans la rue. Je vous affirme, que je n’ai jamais poussé mes apprenants dans ce sens. D’ailleurs, ça serait un manque de respect envers les parents qui ont accepté de me confier leurs progénitures.

Vous dites que la mendicité des « talibés » a pris de l’ampleur dans notre pays. Selon vous qu’est ce qui explique cela ?
  Les raisons peuvent être multiples. La pauvreté des ménages fait partie des principales causes. La conjoncture économique ou encore la cherté du loyer sont aussi des facteurs déterminants. Mais cela ne doit pas être un prétexte pour exploiter les enfants. Un père de famille responsable ne voudra jamais que son fils de 6 ans ère dans les rues pour lui payer son loyer. Et Il faut savoir que les « talibés » sont des enfants qui sont envoyés à l’enseignant, par leurs parents pour qu'il leur inculque les Versets coraniques. Et, souvent au Sénégal, ces enfants que l'on voit dans les rues sont issus soit de la sous région, soit dans  des localités pauvres où leurs parents ne peuvent les assumer. Ainsi, ces mômes, sous le toit d’un maitre coranique sans scrupule deviennent très vite vulnérables. Et bien entendu, c’est sur ordre de ce dernier, qu’ils vont parcourir les rues de Dakar pour apporter des sous à la maison. L’absence de supervision des « daaras » fait que le sort des enfants dépend entièrement du marabout qui l’encadre. Certains possèdent même plusieurs « daaras » et s’enrichissent sur le dos des enfants, tout en cachant la vérité aux parents.

Quelles recommandations faites-vous, pour éradiquer ce phénomène de mendicité des enfants ?

   Il y a plusieurs alternatives pour faire sortir les enfants des rues. D’abord, il faudrait la création de « bon daaras » par les autorités religieuses et les confréries, en accord avec l’Etat et la société civile. De telles infrastructures vont permettre  aux parents des  « talibés » de remettre leurs enfants à un « bon marabout ». On pourrait ainsi cartographier les daaras et s’assurer que ceux possédant le label « bons daaras » soient encouragés et que les enfants y bénéficient de meilleures conditions de vie et d’une formation professionnelle.

   D’autre part, il faudrait supporter les daaras ruraux, en les aidant à mettre en place des activités génératrices de revenus, afin de limiter l’exode rural des populations jeunes, qui sont censées constituer la force du secteur agricole très peu motorisé du Sénégal. Quelle société peut se dire moderne si elle ne prend même pas soin de ses enfants ?

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Formulaire de contact

Nom

E-mail *

Message *